Si l’on regarde les grands succès de l’industrie high tech, ceux-ci sont toujours basés sur plusieurs éléments. Le premier est l’innovation, le second est la capacité à rendre cette innovation simple, le troisième est la capacité à faire connaitre cette innovation. Apple n’a pas été l’inventeur du lecteur MP3, bien avant d’autres l’avait fait, comme Archos, mais Apple l’a rendu simple et surtout à réussi à bien communiquer. Apple n’a pas été l’inventeur de l’interface qui l’a rendu célèbre, Xerox tient beaucoup à cette paternité. Comme Bic n’a pas été l’inventeur du rasoir mais il l’a démocratisé en le rendant jetable. Les exemples sont nombreux. La stratégie du « Me Too » est finalement assez commune et permet de réussir si une règle est respectée : apporter quelque chose de nouveau au marché : un prix, un concept, une image.
Quand une grande marque décide de prendre une décision aussi importante que de réfléchir à l’abandon d’une activité centrale de son chiffre d’affaires il convient d’en voir les raisons mais surtout la stratégie dans laquelle celle-ci s’inscrit.
Une stratégie vient d’une expérience, de constats et d’une vision. Celle de Leo Apotheker est bien sur emprunte de son expérience chez SAP, basée sur la marge et non le CA, elle est aussi emprunte d’exemples réussis, celui d’IBM et son virage stratégique quand il a abandonné le PC. Elle est aussi basée sur un constat que la valorisation boursière ne suit pas celle du marché et a perdu 30% par rapport à l’évolution du Nasdaq depuis un an. C’est à dire qu’HP sous performe son marché de référence, et la comparaison est encore identique si l’on compare HP à son plus grand concurrent direct IBM. Il ne faut pas croire que cette stratégie vient de se décider. Elle a commencé en dès 2005, a été visible au moment du rachat d’EDS, et a été mise en musique par l’embauche de Leo Apotheker en 2010. Par contre le rachat de Palm puis l’annonce de l’abandon probable de son système d’exploitation Web OS ont brouillé la lisibilité de cette stratégie. Avec l’annonce sur la division PC, HP montre qu’il tient à garder le cap de son évolution, mais au dépends pour le coup d’une activité emprunte d’une énorme symbolique externe et interne.
Alors HP est-il capable de faire un « me too » de la stratégie d’IBM avec succès ? Il y a beaucoup de raisons d’en douter, tout d’abord HP a un catalogue produits et une cible client totalement différente, notamment grand public. En annonçant qu’HP envisageait de se séparer de sa division PC, Léo Apotheker a plus contribué à fragiliser un édifice qui s’est constitué au fur et à mesure de différentes cultures : la culture de Compaq, la culture de Digital, la culture d’EDS. En final ce qui se dessine c’est le désengagement d’HP du segment grand public où la concurrence sur les prix est devenue démentielle, et le développement des acteurs chinois ainsi la baisse de la consommation des ménages occidentaux ne risquent pas de contribuer à alléger celle-ci, bien au contraire.
Donc HP va devenir une marque purement professionnelle avec des produits ou services à forte valeur ajoutée. Mais une entreprise peut elle résister à la perte de 30 % de son CA (division PSG*) puis surement des 20 % que représente la division IPG**? Est-il possible d’être une société à dominante service et continuer à avoir une activité de vente d’imprimante... IBM a montré que non et c’est là où les choses risquent de devenir plus complexes pour HP, car derrière tout cela ce qui se joue c’est le réseau de distribution. C’est à dire l’un des poumons de l’entreprise.
HP tient (certains disent verrouille) son réseau en grande partie grâce à ses offres d’impression et à sa stratégie de CA global. Que l’on enlève la brique PC, et c’est la brique impression qui sera fragilisée. Les concurrents vont le sentir et la pression va s’accentuer sur les revendeurs HP. Il y a un risque que ceux-ci préfèrent aux bonnes marges arrière d’HP une réduction du risque sur leur gamme d’offre et ouvre ainsi leur catalogue. Le réseau d’HP n’a pas l’historique du réseau d’IBM. Sa solidité est plus artificielle et beaucoup (y compris chez les grossistes) ne rêvent que de réduire leur dépendance vis à vis d’un constructeur assez hégémonique. Cette fragilité est aussi présente au sein des équipes d’HP constituées de nombreux agrégats et qui savent ce que veut dire la filialisation d’une activité.
La vente potentielle de la division PSG va rebattre de nombreuses cartes. Si celle ci arrive, d’ici à 5 ans, on peut s’attendre alors à une pression identique sur la division IPG. Aujourd’hui ce qui s’engage pour HP c’est une course contre la montre… pas sur un transfert de CA mais sur un transfert de marge. HP doit acheter assez de sociétés de logiciel et de services dans les 5 ans qui viennent pour que la marge gagnée par ces rachats compense non pas la perte de la marge de PSG mais peut-être celle de PSG et de IPG.
En fait, en plus de savoir qui aujourd’hui est à même de racheter la division PC, on peut aussi se demander qui sera capable d’acheter la division IPG d’HP dans le futur ?...Les spécialistes de l’impression et les sociétés de fusion acquisition ont du pain sur la planche pour les 5 ans qui viennent.
*Personal Systems Group
**Imaging and Printing Group
This article was published in 2012
Quand une grande marque décide de prendre une décision aussi importante que de réfléchir à l’abandon d’une activité centrale de son chiffre d’affaires il convient d’en voir les raisons mais surtout la stratégie dans laquelle celle-ci s’inscrit.
Une stratégie vient d’une expérience, de constats et d’une vision. Celle de Leo Apotheker est bien sur emprunte de son expérience chez SAP, basée sur la marge et non le CA, elle est aussi emprunte d’exemples réussis, celui d’IBM et son virage stratégique quand il a abandonné le PC. Elle est aussi basée sur un constat que la valorisation boursière ne suit pas celle du marché et a perdu 30% par rapport à l’évolution du Nasdaq depuis un an. C’est à dire qu’HP sous performe son marché de référence, et la comparaison est encore identique si l’on compare HP à son plus grand concurrent direct IBM. Il ne faut pas croire que cette stratégie vient de se décider. Elle a commencé en dès 2005, a été visible au moment du rachat d’EDS, et a été mise en musique par l’embauche de Leo Apotheker en 2010. Par contre le rachat de Palm puis l’annonce de l’abandon probable de son système d’exploitation Web OS ont brouillé la lisibilité de cette stratégie. Avec l’annonce sur la division PC, HP montre qu’il tient à garder le cap de son évolution, mais au dépends pour le coup d’une activité emprunte d’une énorme symbolique externe et interne.
Alors HP est-il capable de faire un « me too » de la stratégie d’IBM avec succès ? Il y a beaucoup de raisons d’en douter, tout d’abord HP a un catalogue produits et une cible client totalement différente, notamment grand public. En annonçant qu’HP envisageait de se séparer de sa division PC, Léo Apotheker a plus contribué à fragiliser un édifice qui s’est constitué au fur et à mesure de différentes cultures : la culture de Compaq, la culture de Digital, la culture d’EDS. En final ce qui se dessine c’est le désengagement d’HP du segment grand public où la concurrence sur les prix est devenue démentielle, et le développement des acteurs chinois ainsi la baisse de la consommation des ménages occidentaux ne risquent pas de contribuer à alléger celle-ci, bien au contraire.
Donc HP va devenir une marque purement professionnelle avec des produits ou services à forte valeur ajoutée. Mais une entreprise peut elle résister à la perte de 30 % de son CA (division PSG*) puis surement des 20 % que représente la division IPG**? Est-il possible d’être une société à dominante service et continuer à avoir une activité de vente d’imprimante... IBM a montré que non et c’est là où les choses risquent de devenir plus complexes pour HP, car derrière tout cela ce qui se joue c’est le réseau de distribution. C’est à dire l’un des poumons de l’entreprise.
HP tient (certains disent verrouille) son réseau en grande partie grâce à ses offres d’impression et à sa stratégie de CA global. Que l’on enlève la brique PC, et c’est la brique impression qui sera fragilisée. Les concurrents vont le sentir et la pression va s’accentuer sur les revendeurs HP. Il y a un risque que ceux-ci préfèrent aux bonnes marges arrière d’HP une réduction du risque sur leur gamme d’offre et ouvre ainsi leur catalogue. Le réseau d’HP n’a pas l’historique du réseau d’IBM. Sa solidité est plus artificielle et beaucoup (y compris chez les grossistes) ne rêvent que de réduire leur dépendance vis à vis d’un constructeur assez hégémonique. Cette fragilité est aussi présente au sein des équipes d’HP constituées de nombreux agrégats et qui savent ce que veut dire la filialisation d’une activité.
La vente potentielle de la division PSG va rebattre de nombreuses cartes. Si celle ci arrive, d’ici à 5 ans, on peut s’attendre alors à une pression identique sur la division IPG. Aujourd’hui ce qui s’engage pour HP c’est une course contre la montre… pas sur un transfert de CA mais sur un transfert de marge. HP doit acheter assez de sociétés de logiciel et de services dans les 5 ans qui viennent pour que la marge gagnée par ces rachats compense non pas la perte de la marge de PSG mais peut-être celle de PSG et de IPG.
En fait, en plus de savoir qui aujourd’hui est à même de racheter la division PC, on peut aussi se demander qui sera capable d’acheter la division IPG d’HP dans le futur ?...Les spécialistes de l’impression et les sociétés de fusion acquisition ont du pain sur la planche pour les 5 ans qui viennent.
*Personal Systems Group
**Imaging and Printing Group
This article was published in 2012